Zoland : chapitre 18

Publié le par Lou

Je fixais le ciel, incapable de bouger. Les nuages noirs devant moi avaient formé une sorte de serpent gigantesque aux yeux blancs et luisants. Il était immobile, de profil, et regardait droit devant lui. Je suivis la direction de son regard et aperçus mon village dans la brume qui s'épaississait autour de lui. Le désespoir général devait les atteindre aussi, maintenant, songeai-je. Soudain, le serpent de nuages se détourna du village. Tout son corps vaporeux se mit à pivoter lentement sur lui-même, et je compris avec horreur qu'il se tournait vers moi. N'ayant aucun endroit à découvert pour me cacher, je me plaquai au sol dans l'espoir de passer inaperçue. En vain. Le serpent nébuleux m'avait repérée malgré les buissons, et me faisait maintenant face. Je levai la tête pour le voir, mais je n'eus que le temps de détailler sa tête. Parmi les nuages noirs rayonnaient des reliefs colorés semblables à des pierres précieuses d'une beauté cruelle. Ses yeux ardents me paralysèrent et je m'évanouis, me laissant aller sur le sol.

                 *              *                   Léo                 *                         *                                                                                                      

Je n'en pouvais plus. Mes parents étaient plus irritables que jamais en ce moment et les professeurs s'énervaient eux aussi bien plus facilement que d'habitude. Quant aux élèves, ce n'étaient pas mieux :  la plupart chahutaient en cours et se traitaient de tous les noms, tandis que les autres boudaient. Notre professeur de français n'avait rien trouvé de mieux pour faire cesser les bavardages que de nous accabler de devoirs, et cela faisait une heure que j'étais installé à mon bureau, faisant exercice après exercice avec application, alors que ceux-ci étaient trop faciles et parfaitement ennuyeux. Jamais je n'avais passé autant de temps à faire les devoirs d'une seule matière. J'entendais les cris de ma petite sœur qui se disputait avec mes parents à l'étage du dessous, et les journalistes qui parlaient à a radio que j'avais allumée pour moins m'ennuyer semblaient très déprimés et parlaient d'une voix monotone, presque soporifique. Je changeai de fréquence pour capter une chaîne de musique, mais les programmateurs avaient été inspirés par l'humeur maussade générale et la musique était elle aussi pénible. En désespoir de cause, je coupai la radio. Je poussai un gros soupir. La vie était insupportable depuis que tout le monde semblait triste ou irrité. Je me demandais bien ce qui pouvait être la cause de cette mauvaise humeur. Le temps, peut-être ? Cela faisait plusieurs jours que les nuages formaient une chape gris foncé au-dessus de la ville et le vent pourtant fort ne parvenait pas à les déplacer. Il faisait froid et humide, et je n'avais pas vu le soleil depuis bien longtemps. Trop longtemps. 

Je décidai de faire une pause dans mes devoirs et rangeai mes cahiers dans un tiroir, avant d'en sortir mon ordinateur portable. Je l'allumai et consultai la météo :

« Le mauvais temps qui règne depuis plusieurs jours déjà est inexpliqué, expliqua une voix monocorde.Toutes les villes de la région connaissent les mêmes phénomènes que nous : brume, nuages noirs, pluie, froid et parfois orages. Aucune station météorologique n'avait prévu de tels événements, et les scientifiques ne peuvent pas prévoir combien de temps il durera. »

Personne ne semblait se rendre compte du désespoir qui avait accompagné le mauvais temps. Il avait atteint tout le monde et je semblais être le seul à remarquer que quelque chose clochait. Je consultai ensuite trois chaînes d'information télévisées et deux sites de journaux, en vain. Beaucoup d'articles étaient consacrés au mauvais temps mais pas un ne faisait état de ce que j'appelais l'humeur maussade générale. Je menai ma petite enquête dans les commentaires des articles et sur quelques forums, mais je n'y trouvai que des utilisateurs qui conversaient avec une animosité inhabituelle. J'éteignis l'ordinateur et repris mes exercices de français en soupirant. N'y avait-il donc rien à faire pour que cela change ? Je n'allais pas tenir longtemps entourés de gens pénibles qui ne s'en rendent même pas compte !

Un quart d'heure plus tard, j'avais enfin terminé ces exercices, et je pus m'adonner à ma passion. Je m'emparai de nouveau de mon ordinateur et cherchai des exercices de mathématiques de niveau universitaire. Je connaissais un très bon site sur lequel toutes les leçons étaient très bien expliquées et dont les exercices étaient intéressants. Je passais parfois des heures à résoudre des problèmes, cherchant dans les documents que proposait le site une formule ou une propriété qui pourrait me servir. Les mathématiques me passionnaient, et j'avais fini depuis un moment les programmes de collège et de lycée, ce qui avait un inconvénient : les cours étaient ennuyeux. J'avais demandé à mon professeur si je pouvais apporter mes propres exercices, étant donné que je connaissais déjà tout ce que l'on apprenait en classe, mais elle n'avait pas accepté, ne voulant pas m'accorder un traitement différent des autres élèves. Je lisais donc le livre de maths de bout en bout, faisant tous les exercices dans l'ordre pour passer le temps. Mais la fin du livre approchait, et je cherchais désespérément quelque chose à faire pendant les cours. Peut-être que quand j'aurais tout terminé, le professeur me laisserait apporter mes exercices ? 

Au bout d'une heure, mon père m'appela depuis le rez-de-chaussée pour que je vienne dîner. Je descendis, et trouvai mes parents et ma sœur attablés, et ils ne semblaient pas s'être réconciliés depuis leur dispute de l'après-midi. Ça aussi, c'était apparu avec le mauvais temps : d'habitude, ils ne restaient pas bien longtemps fâchés et toutes les disputes finissaient en franche rigolade. Je les rejoignis. Nous étions tous les quatre mal à l'aise, et personne ne prononça un mot, hormis pour se servir ou demander la corbeille de pain. Je remontai dans ma chambre immédiatement après avoir débarrassé, soulagé de quitter cette ambiance pesante. Il fallait que cela change, mais je n'avais aucun moyen de faire revenir le beau temps ! Je repris mes exercices de mathématiques pour me changer les idées. 

Publié dans Zoland, littérature, séries

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